Affaire Rousset : l’accusée à la Cour d’assises d’Aix

Le 18 Août 1869, Mélanie Favier comparaît devant  la Cour d’assises d’Aix … soit moins de trois mois après les faits! Voir l'affaire ICI

Le palais de justice d'Aix à la fin du XIXème

Plusieurs articles de presse relatent le procès: dont Le Petit Marseillais et La gazette des tribunaux, journal national, dont voici des extraits ci-dessous

Le Petit Marseillais du vendredi 20 Août

Le roman d’une pauvre fille

"L'accusée est une jeune femme de la campagne, une robuste fille qui tient dans ses bras un jeune enfant de quelques mois, qu'elle entoure des soins les plus vigilants, les plus tendres, les plus doux.

Son costume est celui des villageoises, simple mais propre, modeste et sans prétention.

C'est une femme intéressante à tous les points de vue, et l'impression de tout l'auditoire lui est favorable.

L’acte d’accusation

Le greffier donne lecture de l'acte d’accusation qui reprend les faits exposés lors de l’enquête. En conséquence, ladite Favier, Mélanie, ci-dessus, dénommée et qualifiée, est accusée : d'avoir sur le territoire de la commune d'Alleins, le 1er juin 1869, tenté de commettre un homicide volontaire sur la personne du nommé Urbe (Laurent), laquelle tentative manifestée par un commencement d'exécution n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, et avec préméditation, crime prévu et puni par les articles 2, 295, 296, 297 et 309 du code pénal.

Urbe, l’amant, n’inspire aucune sympathie. Le ministère public lui-même est obligé de flétrir sa conduite. Il le fait en termes très énergiques. La fille Mélanie s'exprime dans la langue provençale, elle le fait avec une force, une ardeur qui font dans l'auditoire une profonde impression.

Le témoin Urbe Laurent est appelé: - Je n'ai jamais promis le mariage à Mélanie. Il s'était présenté quelqu'un pour l'épouser. Je l'avais engagée à le prendre. Elle l'avait accepté, puis elle s'est brouillée avec lui.

L'accusée de son banc: -Taisé te, vaï!

Vient un moment de la déposition où Urbe prétend l'avoir payée de ses faveurs. En quatre ans et demi, il aurait donné 4 fr. 50 c, en trois fois.

Monsieur l'avocat général: -Vous êtes le dernier des hommes!

Monsieur le président: -Elle ne vous a pas coûté cher, car si nous établissons les prix, vous lui auriez donné un sou par fois.  (Hilarité dans la salle)

Monsieur l'avocat général, dans une improvisation rapide, tout en stigmatisant la conduite de Mélanie Favier, flétrit les actes honteux d’Urbe Laurent, qu'on ne saurait caractériser avec assez d’indignité.

Tout en demandant au jury une répression pour des actes qui imputent à la justice, il s'en rapporte à sa sagesse pour l'application de la peine à infliger à la malheureuse Mélanie.

Plaidoirie

Maître Rigal, dans une plaidoirie spirituelle, a présenté, avec un grand charme, la défense de la fille séduite.

-Voilà donc, s'est-il écrié, cet homme, ce Céladon de village, ce Don Juan de campagne, qui, au nom de son libertinage vient nous déclarer dans sa façon de Figaro, qu'il a payé cette fille et qu'il est quitte envers elle. Moyennant quoi? moyennant 4 francs 50 centimes!Ah ! Messieurs, c'est vraiment déprécier l’infamie par le bon marché, et j'ai honte, quant à moi, de calculer à quelle somme infime cela porterait les faveurs journalières au séducteur.

Verdict

Monsieur le président résume les débats et le jury, après quelques minutes seulement de délibération, revient dans la salle avec un verdict négatif sur toutes les questions.

Mélanie Favier est acquittée, et le public, tout entier, suit d'un regard sympathique, la pauvre fille trompée.

Dans la salle des Pas-Perdus, elle est tellement troublée qu'elle ne sait plus de quel côté prendre et que je suis forcé de lui indiquer sa route pour la soustraire aux regards curieux de la foule qui se presse sur ses pas.

Elle me répond avec un calme sourire:  M’y reveiran jamai plus."

La gazette des tribunaux

"Mélanie Favier est une belle fille aux grands yeux noirs des environs d'Avignon. Elle n'avait jamais fait parler d'elle. Sa famille est honnête. Sa beauté lui a attiré les hommages d'un jeune homme qui lui a promis le mariage. Elle a cru trop facilement à cette promesse et elle n'a pas attendu la permission de M. le maire pour accorder ses faveurs à son prétendu. Elle est devenue mère. Mélanie a réclamé vivement de son séducteur l'accomplissement de ses promesses.

Mais en tout pays civilisé la justice n’admet pas qu'une jeune fille puisse venger elle-même à main armée son honneur qu'elle n'a pas préservé suffisamment. Les témoins donnent sur son compte de bons renseignements. Son amant a guéri; mais on n'a pu extraire la balle qui lui est restée dans la poitrine sans le gêner. Il est entendu comme témoin. Son attitude est mauvaise. Il prétend qu'il a eu les faveurs de Mélanie à prix d’argent et tout compte fait, il reconnaît que dans l’espace de deux ans, il ne lui a donné que 4 fr. 50 c. Sa calomnie indigne l’auditoire dont les sympathies sont acquises à Melanie qui tient son nouveau-né dans les bras et qui ne paraît pas trop s’affliger de sa situation.

Après quelques minutes de délibération, le jury revient avec un verdict d'acquittement et M. le président ordonne la mise en liberté immédiate de Mélanie Favier.

Mais il aurait mieux valu qu'elle attendît la permission de M. le maire."

Pour une tentative d’homicide avec préméditation, on peut trouver cet acquittement surprenant, d’autant que fille-mère au XIXème, peu instruite, s’exprimant en provençal au tribunal d’Aix, on aurait pu penser qu’elle cumulait les handicaps!  De nos jours, la peine minimale encourue pour une tentative d'homicide avec préméditation est de cinq ans d’emprisonnement. 

Surprenant aussi le ton badin des journalistes qui font de l’affaire une jolie comédie!

Epilogue

Pas de mariage entre Mélanie et Laurent, bien sûr!

En 1877, Mélanie épouse BERNERO Bartholomé Dominique (mécanicien, veuf, né en Italie en 1836). Bien qu’elle ait 37 ans à la naissance de leur premier enfant, le couple aura 3 enfants dont aucun n’atteindra l’âge adulte. Elle-même décède le 7 Juin 1887 à l’Isle-sur-Sorgue à l’âge de 43 ans.

Laurent épouse en 1873 BARDELELLE Virginie Ursule (domestique, 48 ans). Ils n’ont pas d’enfant. Il décède 4 ans plus tard à Morières à l’âge de 37 ans.

Et leur enfant, ce bébé que Mélanie cajolait au procès? Eh bien impossible de trouver sa trace pour l’instant; mais Laure notre fin limier des archives continue les recherches….

Marie-Françoise Pillard

Recherche d’archives: Laure Révolu