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Drame à la ferme de Rousset en 1869

  • 11 févr.
  • 8 min de lecture

Ce 31 Mai 1869, vers dix heures trente du soir, Mélanie Favier, journalière âgée de 25 ans, demeurant à Morières, a tiré sur Laurent Urbe, domestique à la ferme de Rousset.



Tous les détails des deux dépositions sont une mine de renseignements

sur les moeurs et la vie villageoise du XIXème siècle!


Que s'est-il passé ce soir-là?


Laurent Urbe, après avoir fait boire et conduit les chevaux dans l’écurie, était monté au grenier à foin pour donner à manger à ses bêtes. « J'étais au tas de foin, lorsque je reçus dans le dos la décharge d'une arme à feu. Je portai la main de suite à mon côté droit, je me retournai, et je vis Mélanie à un pas de moi, droite, tenant un pistolet à la main. Elle ne me porta aucun secours. » Madame Decorde sa patronne vint à son secours et appela son mari et ses enfants. « Mon maître a envoyé de suite chercher à Alleins Monsieur Félix, médecin. Il s'est ensuite emparé de Mélanie, lui a levé le pistolet des mains et lui a lié avec une corde et l'a laissée étendue dans le grenier sur le fourrage. A trois heures du matin, il a été prévenir la gendarmerie. »  La presse indiquera ultérieurement que les jours du jeune hommes restèrent en danger plusieurs semaines.

Dès le lendemain, le Juge de Paix du Canton d’Eyguières et son greffier se rendent à Rousset prendre les dépositions. Mélanie Favier, âgée de 25 ans, sans profession, domiciliée à Morières, commune d’Avignon, chez son père, lui  déclare: « Je ne suis pas mariée, je suis enceinte de neuf mois, je ne sais ni lire ni écrire. » La victime, Laurent Urbe, âgé de vingt-neuf ans, perruquier de son état, de Morières également, déclare être employé depuis deux mois à la campagne de Rousset comme domestique.




La ferme de Rousset dans les années 1980 et aujourd'hui. A g, la petite maison mitoyenne du voisin "le sieur Castélas" aujourd'hui noyée dans la végétation.


L’affaire couvait depuis des mois 


Mélanie enceinte de Laurent lui avait demandé de l’épouser. Selon la jeune femme, il n’accepta d’en parler à son père qu’une fois la grossesse d’un mois et demi, dûment certifiée par un médecin d’Avignon. Mais ensuite, ce sont des atermoiements à n’en plus finir. « Peu de jours après, je rencontre Urbe, et il me fait connaître qu'il n'a pas encore eu l'occasion de faire part à son père de ses projets de mariage. Mais que dans le courant de la semaine ils doivent aller ensemble tailler les arbres et qu'il profitera de cette circonstance pour lui parler. Peu de jours après, Urbe me dit qu'il avait parlé à son père, que ce dernier lui avait déclaré ne point s'opposer à notre mariage, mais qu'il lui avait dit ne rien vouloir lui donner. » Il promet de venir parler aux parents de Mélanie le dimanche suivant, mais ne le fait pas. Finalement la mère de Mélanie va trouver le père de Laurent: « Quand elle fut dans la maison, le père d'Urbe dit à ma mère qu'il consentait à notre mariage, mais qu'il ne le voyait pas avec plaisir, attendu que j'étais toujours malade, que j'étais niaise, et qu'enfin je n'étais capable de rien. » Finalement, « il fut convenu que nous afficherions le jour des Rameaux. » Jusqu’à une semaine avant cette date, Laurent se rend régulièrement chez Mélanie, puis il disparaît. Mélanie en se renseignant à Avignon apprend qu’il a fait viser par les autorités son livret pour Marseille. « Je pris le premier train du chemin de fer, et j'arrivai dans cette ville le soir à sept heures. Mes recherches ayant été infructueuses dans cette ville, je repartis le mercredi à midi et j'arrivai le soir chez mes parents. »

Là-dessus des placards mettant en cause la moralité de la jeune femme sont affichés sur les murs de Morières et Mélanie accuse Dominique Urbe, frère de Laurent, d’en être l’auteur.

Nouvelle disparition de Laurent que la famille Favier suspecte cette fois d’être allé chez sa tante à Mallemort. « Je dis à ma mère que j'allais immédiatement partir pour tâcher de le trouver. Le soir de ce même jour, je fus coucher à Orgon, le lendemain je fus à Sénas, à Lamanon et de là je fus à Mallemort. Avant d'entrer dans ce village, je demandai à une femme que je rencontrai sur mes pas s'il n'y avait pas sur la commune une femme de Morières. Elle me répondit que si, qu'il y avait peu de jours qu'elle en était revenue et qu'elle avait un sien neveu avec elle, depuis environ trois semaines. Je lui demandai alors s'il y était encore, et elle me répondit que non, et que ce jeune homme était domestique du côté du Sonailhet, commune de Vernègues. Je la priai alors de m'indiquer le chemin de cette ferme, ce qu'elle fit très volontiers, et je poursuivis ma route, ne sachant pas où j'allais. Quand je fus arrivée à un Christ qui se trouve sur la route d'Alleins à Vernègues, je demandai mon chemin à une femme. »


Ce n'est pas ce Christ qu'a vu Mélanie puisqu'il date de 1923, mais  celui-ci a remplacé un autre Christ qui se trouvait au même emplacement.
Ce n'est pas ce Christ qu'a vu Mélanie puisqu'il date de 1923, mais celui-ci a remplacé un autre Christ qui se trouvait au même emplacement.

Mélanie finit par retrouver Laurent qui lui dit « Je n'aurais jamais cru que tu fusses capable de me faire ce que tu m'as fait. J'avais confiance en toi, et cependant je sais aujourd'hui que je ne suis pas seul. »

M. Decorde permet à Mélanie de passer une nuit à la ferme, puis elle rentre chez elle, mais revient deux autres fois à Rousset menaçant Laurent ou de l’aveugler à l’eau-forte (vitriol) -dont elle a un flacon avec elle - ou  de le tuer. Selon Mélanie, Laurent  lui dit « qu'il ne me voulait pas, de faire de mon enfant ce que je voudrais, de le placer et que plus tard nous nous marierions ou nous ne nous marierions pas et qu'il me donnait un bon conseil. Je lui répondis que je n'avais pas besoin de conseils de cette nature, que je voulais qu'il m'épouse et répare mon honneur »

Mélanie revient encore: mêmes disputes et mêmes arguments des deux côtés. Elle  lui demande un peu d’argent pour aller chez une « accoucheuse ». Il lui répond qu’il n’a  pas d'argent à lui donner et qu'il ne voulait pas se marier.


La prévenue a avoué


« Le soir du 1er Juin, après le souper, le maître de la ferme dit à Laurent: Prenez la lanterne, accompagnez Mélanie, elle se couchera, et vous vous ferez la chasse aux rats. Je marchai devant, nous passâmes par l'écurie. Lorsque nous fûmes dans le grenier, nous causâmes encore un bon moment, je ne pus rien obtenir de Laurent, mais au moment où il prenait la lanterne pour s'en aller, emportée par le désespoir, je lui tirai un coup de pistolet dans le dos. »


Question: Ainsi donc, vous avouez que c'est vous qui avez tiré un coup de pistolet sur Laurent?

Réponse: oui, Monsieur, et aujourd'hui je le regrette vivement.

Question: où vous êtes-vous procuré ce pistolet?

Réponse: il y a environ un mois, ou un mois et demi, je l'ai acheté chez un armurier à Avignon. J'ignore son nom, son adresse. Le même individu m'a vendu la poudre et la balle, le tout m'a coûté sept francs.

-Y a-t-il longtemps que vous aviez formé le projet de tuer Laurent Urbe?

-Je lui avais dit plusieurs fois que s'il ne m'épousait pas, je le tuerais. Mais comme c'est une action qui demande réflexion, j'ai combattu cette idée tant que j'ai pu. Mais quand j'ai vu que je ne pouvais rien obtenir de lui, j'ai exécuté mon projet.


La déposition de la victime


« Il y a environ trois mois, que l'idée me vint de quitter la maison pour aller à Marseille à l'effet de chercher à me placer chez un perruquier. Malheureusement je ne pus y réussir. Ayant presque épuisé l'argent que j'avais à ma disposition, je quittai Marseille et je me rendis à Mallemort, chez mon oncle Bazin, propriétaire dans cette commune. Je lui fis part de ma situation, et je restai huit jours chez lui, et pendant ce laps de temps je cherchai à me placer comme domestique. Je réussis dans mes recherches, et depuis deux mois je suis dans cette qualité dans la campagne de Rousset.

Depuis environ dix-huit mois, j'avais fait connaissance à Morières d'une fille nommée Mélanie. Je ne me souviens pas en ce moment de son nom de famille. Je ne tardai pas à avoir avec elle des rapports intimes, et chaque fois, je lui laissai de l'argent. Je crois que j'étais seul à la fréquenter.

Néanmoins un mois avant de quitter Morières, un matin, un de mes amis qui passait devant ma porte me fit sortir et me montra une affiche que l'on avait placardée sur le mur d'une maison peu éloignée de la nôtre. Je fus en prendre connaissance, et je lus les noms des trois filles du chiffonnier avec l'indication de leurs amants. Le nom de l'amant de Mélanie, celle qui est venue ici me tirer le coup de pistolet, n'était pas le mien, et dès ce moment j'ai eu la pensée que Mélanie devait avoir des rapports intimes avec tout autre que moi. Depuis deux mois que je suis ici, Mélanie est venue me voir quatre fois, je ne puis préciser les époques.

Dans notre première conversation, cette fille, qui se trouvait enceinte, me priait de l'épouser. Je lui répondis que toutes les fois où j'avais eu affaire avec elle, je lui avais donné de l'argent, que je ne lui avais jamais promis de l'épouser, et qu'aujourd'hui moins que jamais je ne pouvais y consentir, vu ce qui avait été affiché à Morières.

La seconde fois, vers les sept heures du soir, une jeune fille de quatorze ans, appartenant au sieur Castélas, propriétaire dans la maison contiguë à celle de Rousset, vint me trouver dans la terre où je travaillais et me prévenir que Mélanie était cachée dans une touffe de chênes longeant le chemin qui conduit à la campagne. »



La maison du sieur Castélas. Jusqu'à une date très récente les familles Decorde et Castélas étaient toujours propriétaires de la ferme de Rousset, rachetée par la municipalité d'Alleins.
La maison du sieur Castélas. Jusqu'à une date très récente les familles Decorde et Castélas étaient toujours propriétaires de la ferme de Rousset, rachetée par la municipalité d'Alleins.

Laurent part donc à Mallemort pour l’éviter.

Mais « Le dimanche suivant, je retournai à Rousset où j'arrivai à peu près vers les sept heures du soir. Pendant que nous étions à table, Mélanie entra, elle se lança sur moi comme une lionne, tout le monde s'éleva de table pour s'en emparer et la calmer. » Les jours suivants, Mélanie promet de partir, mais elle ne le fait pas, passe une journée cachée dans une grotte voisine -(Vaucros très certainement)-, revient chaque soir,  les maîtres acceptent de lui donner à souper et coucher jusqu’au soir fatal. 


La grotte de Vaucros à proximité de Rousset  où s'est cachée Mélanie
La grotte de Vaucros à proximité de Rousset où s'est cachée Mélanie

                                                                              Marie-Françoise Pillard

   A suivre…


Recherches d’Archives (Aix-en-Provence) Jean-Pierre Pillard


Tous les éléments sont extraits de l’acte d’accusation  in Justice de Paix du Canton d'Eyguières, Instruction contre la nommée Favier Mélanie, prévenue de tentative d'assassinat, interrogatoire, l'an 1859, et le 1er juin, Nous, Juge de Paix du Canton d'E., Officier de police judiciaire, auxiliaire de M. le Procureur Impérial près le Tribunal de 1ère instance de Tarascon, agissant en conformité de l'art. 48 du code d’instruction criminelle modifié, et en cas de flagrant délit, étant à la campagne de Rousset, commune d'Alleins, assisté de Jules Victorin Lapierre notre greffier, avons interrogé ainsi qu'il suit la dénommée ci-après inculpée de tentative d'assassinat sur la personne d'Urbe Laurent.

Annexe: Un courrier du Procureur d’Avignon est joint au dossier concernant « les filles Favier très libres avec les garçons. La maison Favier étant pendant les travaux de construction du chemin de fer le lieu de rendez-vous des ouvriers, les filles portant des tenues "pas en rapport avec leur position", pas de plainte à la police, le père a été emprisonné comme failli . »



 
 
 

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